s’est dressé l’animal s’est dressée l’espèce sur ses deux pieds s’est dressée et dans la verticale le bleu du ciel a traversé le corps l’animal bipède a posé un pied devant l’autre l’animal a pris voix dans la verticale la phrase est venue un mot après l’autre un pas plus un pas plus un pas plus un pas articulations l’animal s’est levé les mains se sont levées après qu’il eut vu les empreintes dans la boue du ciel à ses pieds il y eut pieds positifs et mains négatives pieds posés dans la phrase et mains dans les crachats d’herbe et de verbe sur ses deux pieds a dansé la phrase sans savoir qu’il y avait phrase et danse a bougé déplacé matières de corps d’émotions de sens
animal debout animal sur pieds un pas plus un pas plus un pas font pensée vagabonde pensée nomade et gyrovague un pas un saut sur la marelle pieds bleus de la tribu des indiens des rêves grandes plaines pleines pages debout l’animal a trouvé place pour les mots pour le chant l’animal s’est avancé vers l’animal qui fut ou sera l’oiseau ange vorace
l’homme est intelligent parce qu’il a une main aurait dit Anaxagore (sans doute vieille prééminence de la main droite – l’autre est parfois nommée la main morte) pourtant deux mains avons et si les avons dixit André Leroi-Gourhan cela vient de ce que l’homme commence par les pieds nous avons mains parce que nous nous tenons debout lors nous disons bien des sornettes quand disons : il est bête comme ses pieds notre intelligence commence avec nos pieds (et que penser des singes quadrupèdes devenus quadrumanes : ils sont nos maîtres)
pieds bleus sommes des pieds bleus marchons dans le ciel marchons dans la mer gardons mémoire d’une marche dans l’azur avons nostalgies de poisson nostalgies d’oiseau animal marche danse et pense (j’ai fait de mon pied une empreinte chantent les Indiens des plaines du nord sèment dans l’empreinte graines d’abondance contre la faim récoltent sèment et partent chevauchent le vent tendent une corde sur l’arc ou la lyre) pensent pieds bleus les yeux dans le ciel
aller s’arracher du sol se déraciner avancer marcher courir si nécessaire qui fuir ne pas faire souche ni s’embourber ni s’enliser prendre chemin de traverse sauter les buissons exode exil migrer nomade humanité nomade bon pied bon œil Hermès aux pieds ailés se déplacer couper les ponts derrière soi franchir la frontière traverser la forêt longer la ligne de démarcation chercher la faille la fente le passage entre (vous qui entrez ici lasciate)
un pied un autre piétinement saut dans la marelle avec mines cachées sous l’enfer du ciel migrations extraditions voyages la traversée de l’Atlantique à la rame
déguerpir décamper dérouter dévaler débarquer un pied un autre les deux appuyés sur le fond souquer han han traverser la rivière à la nage à la rage sortir de la cage abandonner les pages du vieux pays tortionnaire vers les terres de désaccueil brûler les traces se relever pieds gonflés
sur le papier l’empreinte de
…
chaque singulier
pluriel
l’unique brin d’herbe
est déjà la prairie
(eût dit Shitao
le moine Citrouille amère)
le brin d’herbe
sous le vent
sous le vent soulèvement
tremblement de l’air
tremblement de terre
t’airbe
(goût d’airelle sous la langue
elle a
les mains géographes
elle dessine écrit
trace
témoigne de
la formation des montagnes
invention du paysage)
parfois ce serait
schistes avec fil de soie
entre les rives d’une faille
d’une feuille
chaque singulier
pluriel et multiplie
les plis
les géosynclinaux
brin de v’herbe
…
ça tombe ça déchire
ça pense
ça s’défait
se fait se défait
poème apoème
plantation
un clou dans
un jardin miniature
est-ce l’herbe qui tremble
ou la main ou le souffle
une question
(regarder pourrait être
savoir ignorer)
*
de Chaos est née Gé
il neigeait sous les agrafes
tout avait chuté
je n’avais plus
besoin de peindre
voir ne pas voir
voir de ne pas voir
ne pas ça voir
savoir ignorer
savoir arrachement rageur
se frotte au presque rien
au dérisoire au peu
à la peur une
écriture de l’espèce
…
n’est pas n’est pas encore
ne naît pas encore
ne naît que
de la geste qui l’engendre
n’est pas avant ne devance pas
la répétition n’est pas
reproduction
la geste de la main rèpète
le geste de la main
chaos
tesselles du temps
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chaos
da capo
qu’il reste du mystère
qu’on ne sache pas
trop de chose
langue lagune où flottent
dérivent des miroirs
je quitte l’image
pour faire les chocs
l’horizon l’eau rhizome
…
reconstituer ce qui jamais ne fut
on ne sait quoi quelle totalité…
il n’y avait que brisées et brisures
déchirantes déchirures
on ne sait jamais si
destruction précéda
l’état des choses
et chose elle a vécu ce que vivent les choses
ni quelles choses furent
si choses furent ou objets
à bâtir ou ruiner
on ne sait on ignore
le vent passe
et les Huns couchent l’herbe
enfance : les grandes invasions
rasaient les grandes prairies
Attila traversait le bureau de l’écolier
versait un sang violet dans l’encrier
dans les trousses manquait
l’agrafeuse du temps
du passé faisons table rase
ange tombé
comme s’il fallait non pour comprendre mais pour mieux étreindre passer par cette épreuve de l’horizontale qui longtemps fut tienne et retrouver ces temps d’enfance au milieu des foins à ras de terre quand les cils se confondaient avec les brins d’herbe, et quand, cloué, agrafé à la page des prés, je me souviens, le regard balbutiait vers la ligne indécise où commence et finit le ciel
marge entre terre et ciel herbe et azur et le vent et le vent vous en souvient-il au ras du sol avec stridulations des insectes explorations des mantes et des bousiers comme si sauterelles aussi agrafaient le vert à la terre trop sèche
l’air sortant des narines des endormies l’air met en mouvement végétal et animal l’air soulève vente ou tempête
comme un piano muet sculpté dans une table de bois, comme une table écrivain sans les outils de l’écriture, jetés les crayons, jetés l’encrier et les porte-plumes, brisé l’ordinateur comme le fut la vieille machine à écrire, comme
comment faire comme quand ne restent sur le plan horizontal qu’une agrafeuse et ses boîtes d’agrafes, quelques punaises et des rouleaux de scotch comment peindre quand l’envie s’en retire quand autre nécessité s’impose comme s’il fallait se dépouiller de tout pour absorber, enregistrer, se faisant sismographe, la rumeur et les ébranlements du monde
comme si vivre était là, au bout des doigts et qu’il était possible, comme Thérémine de s’élancer dans le vide et d’en faire naître la musique
le vent souffle et soulève les poèmes gisants crayonnés à la hâte et les feuilles mortes clouées agrafées collées sur le bois des forêts nocturnes tables noires d’encre répandues les feuilles mortes une fois tombées les feuilles mortes se ramassent à la pelle scripta manent foutaise les pages roses des vieux dictionnaires entre noms communs et noms propres les feuilles roses mentent comme je respire respire de mal en pire expire le vent souffle le vent arrache les poèmes le vent les emporte brouillons d’inachèvement
souffle
puis soufffle encore fait de la table résonnance d’un texte aérien qui traverse les têtes et n’y laisse que bien peu de traces cheminement d’escargot mélomane qui saurait un peu de latin verba volant scripta manent
jetés les mots jacta est au hasard franchissent les lèvres alea les mots dans la peinture
…
langue lagune
lacune des miroirs
le crayon augmente
ne reproduit pas
augmente
accroît même quand
soustrait accroît
augmente
ni Lascaux 4
ni Chauvet 3
penche le temps qui
jamais ne remonte
l’art n’est pas un remontoir
(le sang samba
bat au poignet
des vivants)
mais une pente
une inclinaison
une inclination
une chute
un travail avec les chutes
…
reprendre
de vieilles choses
de vieux papiers
maculés d’encre
de mots de phrases
jetées bouteilles vides
agencer
les partitions
dire je ne sais pourquoi
j’ai vécu
le temps des tableaux noirs
des craies blanches surtout
j’ai vécu la pointe des compas
enfoncée dans le bois
les rosaces
vitraux opaques dans les yeux
des écoliers
des lycéens
j’ai vécu
le passage au tableau vert
la prairie et les mots coccinelles
dansaient dans l’herbe
aujourd’hui les souris courent
sur le tapis de l’ordinateur
…
relire
les mêmes mots
les relier
autrement
savoir qu’ils fanent
d’un jour sur l’autre
qu’un cachet d’aspirine
parfois les ranime
dire que le fleuve
change toujours les rives
que la lumière change
que ce qui vient
dans les yeux change
le dire et le voir
…
ces angles de papier déchiré
sont ils reliques
de la monnaie des morts
des vœux ou prières
ailleurs glissés
sous une pierre
la cime
le cimetière
la crinière
du cheval d’Attila
qui traverse la page
piétine verbes et prairies
on ne sait
sait ce qui reste
dans ce qui reste
comme un visage déchiqueté
dans la disparition
d’un nuage
le vent frotte le nuancier du monde agite les variations des saisons emporte paroles de papiers relevés sismographiques de nos émois des pulsations de la terre l’intime et l’extime à la pointe du crayon chaque trace ouvre chaque dessin chaque mot chaque phrase ouvrent ouvrent opèrent opéra chant du monde du nuancier du monde les vieilles peaux flottent sous la pluie emportent les tatouages de la douleur le vent disperse le peu
peigne recoiffe les désordres des jours les désordres des nuits sasse et ressasse
ô rien basse basse continue poussière charbon de nos œuvres il n’y a que de la lumière qui tombe dans les yeux pour broder nos paupières
le vent soulève croche accroche décroche les notes du pré les herbes liées carrés épars où dansent les brins de verbes le vent psalmodie noue de petits coussins on dirait ô Soseki des oreillers d’herbes de petits haîkus glissés dans le sommeil des belles endormies
on dirait la pierre du sommeil tu poses sur elle ta nuque tu confies à ta couche le blé vert le blé verbe de la faim qui te hante la farine du silence ces grands espaces blancs qui ne sont rien pas même l’attente d’un signe
on dirait du silence qui persiste insiste résiste au grand bavardage envahissant
le vent invisible rend visible l’invisible réveille la couleur qu’il cèle
et c’est même la couleur qui nomme le vent la portée de linge au fond d’un jardin ou sur un balcon quelques chaussettes bariolées qui dansent sur un étendoir chaussettes en couple chaussettes orphelines bas qui ont la nostalgie des jambes de la marche sur les sentes étroites
au bord au bout du monde
le vent contourne les formes caresse la canopée passe sa main d’inexistence entre les branches ou creuse voluptueusement les sillons où croissent et girent les tournesols
le vent ne refuse rien aucune étreinte aucun geste aucune indiscrétion il écourte les nuits d’insomnie enclot déclot le temps l’espace joue et déjoue les formes instables dans lesquelles nous croyons tenir
(foisons de frêles filipendules qui frissonnent quand le foehn les frôle fenaison d’après fournaise fin d’été avant retour des frimas fragiles froissement des feuilles entre lesquelles fil à fil tisse sans frémir l’araignée son vitrail infiniment vide folle avoine filature des fleurs de lin fracas des vents
que faire des vents affamés voraces qui enfourchent fièrement les fougueuses juments à robe fauve et filent comme des flèches vers les cibles du temps
que faire dis-je des fresques fissurées rides des ans failles fractures rides des âges crevasses fâcheuses fentes où prolifèrent infailliblement ces organismes dévastateurs qui feront fi de toute matière et finiront par effacer jusqu’aux premières ébauches premières traces laissées par les sinopie )
la peinture toujours est l’histoire des restes
…
ange de papier
la tête repose
sur un coussin d’herbe
que sait-on des rêves
et de l’encépalo-
gramme qui
les enregistra
qui sait où sont rangées
les ailes-éventails
qui soufflent les poèmes
ange de papier ange
de pierre taillée
ange plié
sous les gisants
au bout de quelle plume
s’est commencé
le dessin
dans la tache de quelle encre
de quelle nuit graphite
s’élève l’expression
indécise
de nos douleurs
…
ce qui est toujours est
déchiré
division multiplication
des cellules
quand la ligne se brise
quand la phrase défaille
quand le silence creuse
divise
les durées sonores
quelque chose alors
peut commencer
quelque chose peut
balbutier et vivre
j’écoute
les battements du cœur
…
langue
cartographie langues
des ponts des bâtisseurs de ponts
d’une rive à l’autre
langues sur lagunes
les passeurs demandent
l’obole
ou vous jettent dans l’eau noire
langues
chi parla chi dice und
was sagst du
je ne te comprends pas
je t’accueille mais je
ne te comprends pas
hiéroglyphes please